Dialogue avec la Maire et les élus délégués
Une nouvelle stratégie pour la langue et la culture régionale a été définie par la Municipalité pour l’actuel mandat. Pourriez-vous nous la présenter dans les grandes lignes ?
Elle s’attache à répondre à plusieurs grands objectifs :
- Développer l’attractivité de notre territoire en affirmant notre identité nourrie à la fois de diversité et de spécificités
- Construire un récit Unsri Gschìcht qui permette à chaque Mulhousien d’intégrer cette communauté de terroir et de contribuer à la construire au long cours
- Raviver et préserver la mémoire populaire en valorisant le patrimoine rhénan commun
- Transmettre et faire vivre la langue régionale comme vecteur de lien social et intergénérationnel
Pour sa mise en œuvre, cette stratégie s’appuie sur 3 piliers que sont :
– la richesse de notre terroir qui englobe ses traditions, ses savoir-faire mais également la gastronomie…
-les valeurs : les Alsaciens sont notamment connus pour leur générosité, leur sens de
l’hospitalité et de l’entraide, leur application et leur rigueur dans tout ce qu’ils entreprennent.
-la notion de « Heimat » , ce mot intraduisible qui signifie : « là où l’on se sent bien » selon la formule bien connue: Wia d’Heim qui s’applique à Mulhouse et à l’Alsace toute entière.
Quelle place et quel avenir voyez-vous pour la langue régionale, sous ses deux facettes « Elsasserditsch und Hochdeutsch », à Mulhouse ? (dans le cadre de cette stratégie « langue et culture régionale »)?
La langue régionale revêt à Mulhouse une légitimité égale sous ses deux facettes. Elle répond à des enjeux d’importance pour le développement de notre territoire : celui de l’apprentissage et de la formation pour favoriser l’emploi, celui de l’attractivité touristique mais aussi celui de développer les relations avec nos voisins suisses et allemands parce que nos identités se touchent et gomment ainsi les effets de frontière de part et d’autre du Rhin.
Cette langue et cette culture alsaciennes ont vocation à constituer un patrimoine partagé, commun à tous les Mulhousiens, avec l’ambition d’en faire un levier d’intégration, d’identification, de fierté d’appartenance à Mulhouse de tous les Mulhousiens, tout en favorisant leur épanouissement personnel et professionnel dans cet espace rhénan officiellement bilingue.
Partagez-vous cette ambition et dans l’affirmative, comment relever ce défi majeur, mais qui participe du rayonnement de Mulhouse et de l’intérêt général de tous les Mulhousiens ?
Cet élément est au cœur de notre stratégie. Les valeurs alsaciennes ont pour nous une dimension universelle ; chacun peut s’y reconnaître et c’est pourquoi nous nous attachons à les promouvoir à travers notre culture riche d’un terroir à partager. Cette notion de « Heimat » est pour nous centrale car nous souhaitons que tous les Mulhousiens se sentent comme à la maison à Mulhouse, quel que soit le lieu où ils habitent. La culture dans toutes ses déclinaisons permet de faire communauté.
En d’autres termes, comment donner envie aux Mulhousiens, de multiples origines et cultures, de s’intéresser à la langue et à la culture régionales, de se les approprier, et in fine de se familiariser avec elles, voire d’apprendre et pratiquer la langue régionale, sous ses deux facettes, Elsasserditsch und Hochdeutsch ?
Il est fondamental de développer à travers la langue et la culture régionales, un rapport inclusif et bienveillant en invitant chacune et chacun à s’y intéresser. Des mets, des mots, des usages peuvent être autant d’échos et de témoignages de proximité entre les cultures.
Gardons-nous dès à présent de l’écueil hélas trop répandu, de corriger systématiquement les personnes qui s’essaient à l’alsacien. C’est la langue de tout le monde et l’essentiel est de nous comprendre.
De grands événements culturels mulhousiens sont basés sur des temps issus de la tradition rhénane : le Carnaval et Noël avec son temps de l’Avent. Ce sont des moments importants de rencontres et de partages. Nous devons nous attacher à les consolider dans ce qui fait leur spécificité alsacienne. Le besoin d’authenticité est de plus en plus marqué et cela passe par l’ancrage dans une tradition historique. Ce retour à la source et aux racines est un dénominateur commun à beaucoup de Mulhousiens aujourd’hui.
Les Alsaciens ont d’ailleurs cette caractéristique exemplaire de préserver leur identité en s’inscrivant pleinement dans les valeurs et les lois de la République.
Pourriez-nous évoquer les principaux projets de la ville de Mulhouse en faveur de la promotion de la langue et de la culture régionales, à l’horizon de l’actuel mandat ?
Nous avons à cœur de soutenir le patrimoine et la création en alsacien mais également de développer toutes les formes de diffusion de la langue et de la culture régionale. Pour ce faire nos projets s’articulent autour de trois axes que sont le fait d’entendre, de voir et de parler l’alsacien sur l’espace public.
Ces trois axes sont corrélés à des actions dont celui de l’art urbain, la signalétique bilingue sur l’espace public et dans les bâtiments publics dont la bibliothèque municipale, un projet de festival du costume et des événements intégrant l’alsacien ainsi qu’un Dìchterwag
Pour ce qui est de reeda (parler), nous essayons de développer une offre de crèche immersive pour permettre l’éveil et un centre de ressources pour fédérer notamment des intervenants en alsacien dans les structures périscolaires ou en bibliothèques.
Seriez-vous plus précisément favorable à ce que soit créé, comme envisagé dans d’autres agglomérations alsaciennes, sous l’égide de la municipalité mulhousienne, un « Lieu d’Alsace », (ou quelque chose dans cet esprit) c’est à dire un centre culturel d’information, de rencontre et de débat consacré à la culture régionale de l’Alsace, en particulier ses langues, son histoire, sa littérature, ses traditions, sa double identité, son insertion dans le cadre rhénan ?
Nous sommes en effet favorables à la création d’un lieu de ressources et d’animations, qui puisse fédérer toutes les forces vives du territoire engagées dans la promotion de la Langue et la Culture Régionale à travers les arts, le théâtre alsacien, la transmission, les traditions.
Nous avons amorcé une réflexion en ce sens et nous nous attachons à mener à bien ce projet impliquant de nombreux partenaires.
Quelles sont les faits et perspectives pour l’enseignement bilingue paritaire franco-allemand à Mulhouse, et comment y intégrer la prise en compte du dialecte alsacien ? Favoriserez-vous par exemple l’ouverture de classes maternelles et primaire en immersion langue régionale : Elsasserditsch und Hochdeutsch dans le cadre de l’éducation nationale, comme le propose aujourd’hui l’école associatiative ABCM RegioSchule à Mulhouse ?
Nous attachons de l’importance au développement de l’apprentissage précoce de la langue régionale dans ses deux déclinaisons que sont l’alsacien et l’allemand standard et nous nous employons à favoriser l’ouverture de classes bilingues dans les écoles maternelles et primaires sur notre territoire.
La loi Molac approuvée le 8 avril dernier pourrait donner une vraie légitimité à l’action des communes en faveur de l’apprentissage immersif.
(nb : Cette loi est soumise à la validation du Conseil constitutionnel qui devra se prononcer d’ici le 22 mai)
On parle de plus en plus de crèches dialectales et de l’organisation d’activités périscolaires en alsacien, ce qui serait entièrement de la compétence de la ville. Est-ce envisagé à Mulhouse ?
Il y a un réel enjeu autour de la création de crèches immersives en alsacien et en allemand pour que dès le plus jeune âge, nos petits soient baignés dans la langue régionale et dans la culture à travers des contes, des comptines, des chants, des recettes, des traditions. Les activités d’éveil sont fondamentales dans le processus d’acquisition d’une langue. Elles créent les conditions d’une appropriation dans la confiance. »
Dans ce sujet partenarial avec l’Education nationale mais aussi m2A qui a la compétence petite enfance, la ville prend toute sa place car c’est une thématique qui nous tient particulièrement à cœur.
Que diriez-vous de la création d’une salle « alsatiques » à la « Stàdtbibliothek vu Mìlhüsa » ?
Pour ne pas sanctuariser ou muséifier la LCR, nous avons fait le choix de déployer nos alsatiques à travers toutes les collections de la bibliothèque afin de montrer l’actualité et la vitalité des documents alsatiques et leur parfaite intégration dans la vie de tous les jours comme dans les rayonnages d’une bibliothèque.
Concernant la bibliothèque municipale nous avons le projet d’intégrer la langue régionale dans la signalétique des espaces. A une traduction, nous préférerons des dénominations chaleureuses que tout le monde pourra s’approprier sans difficulté. Ainsi, pour l’agora qui est le lieu de rencontres et d’échanges, nous avons pensé à « Dr Plàtz » ou pour le jardin: « dr Summer Gàrta »
La ville de Mulhouse serait-elle d’accord pour flécher une partie de son budget éducatif et culturel pour le soutien d’activités culturelles ou socioéducatives mettant en valeur la langue ou la culture régionale ?
C’est déjà le cas. Par exemples les écoles accueillant des classes bilingues ont des crédits supplémentaires pour l’acquisition de livres en langue allemande.
Il reste encore des efforts budgétaires à faire dans ce sens et nous nous y employons. Le bilinguisme, la langue et culture régionales font partie des compétences sur lesquelles la CEA est chef de file, ce qui offre également des perspectives pour une approche commune qui nous permettra d’être plus efficaces dans un avenir proche.
Comment est organisé à Mulhouse le portage politique de la langue et de la culture régionale ? Pourriez-vous nous en présenter les acteurs ? (Michèle Lutz, Anne Catherine Goetz, Philippe d’Orelli…)
Michèle Lutz en tant que Maire dialectophone et de culture transfrontalière est très attentive au développement d’une politique efficiente et efficace dans le domaine de la langue et de la culture régionales. C’est pourquoi dès le début de son mandat, elle a souhaité que soit écrit un document stratégique intégrant un programme d’actions telles qu’évoquées plus haut.
La réflexion stratégique a été conduite par l’Adjointe à la culture et au patrimoine appuyée par un Conseiller municipal délégué assistés par des personnes ressources au sein de l’administration ainsi que des experts investis dans le champ de la langue et de la culture régionale notamment à travers la Dankfàwrìk.
Parlez-nous de la Dankfàwrìk vu Milhüsa ? quel est son rôle ? Ses moyens ?
La Dankfàwrìk est née en 2015 à la demande de Jean Rottner qui a souhaité fédérer les associations et acteurs investis dans le champ de la langue et de la culture régionales afin que leur action soit visible et aient une vraie légitimité au sein de l’espace public sous toutes ses formes.
Au fil des années, la Dankfàwrìk est devenue le bras armé de la municipalité pour la promotion de la LCR ; elle est à présent chargée de conduire la stratégie municipale dans ce domaine. Elle se réunit en plénière une fois par an et est animée par un comité stratégique qui se réunit une fois par trimestre. Il peut y avoir des commissions ad hoc pour le suivi de certains projets.
Comment appréciez-vous « Schick Süd Elsàss », l’antenne Mulhousienne de l’association « Culture et Bilinguisme/Schickelé Gesellschaft ? Quelles sont vos relations avec elle ? Comment pourrait-elle mieux jouer, selon vous, son rôle dans le dispositif mulhousien de promotion de la langue et de la culture régionales ?
Nous sommes heureux de compter parmi les forces vives du territoire la Schick Süd Elsàss avec des conférences toujours appréciées et notamment une belle soirée consacrée au film « Dr Herr Maire » de Gustav Stosskopf. Un grand merci à Patrick Hell pour son implication au sein de la Schick, pour la conduite de notre politique de signalétique bilingue et en tant que membre du comité stratégique de la DFK où son expertise est très appréciée. Merci vielmol liewa Patrick !
Lara Million
Quels sont les enjeux de l’engagement en faveur de la langue et culture régionales dans une ville cosmopolite comme Mulhouse ?
A mon sens, il y ‘aura à ce titre deux enjeux majeurs, tout d’abord culturel, celui de défendre et valoriser l’identité alsacienne et de donner accès à tous les Mulhousiens à cette culture régionale. A cette fin, l’accès au bilinguisme doit être possible et proposé à tous les Mulhousiens, afin d’éviter tout sentiment d’exclusion, pour créer des liens, faire adhérer les Mulhousiens à cette langue et culture régionales et éviter ainsi la division de la société et la montée de positions radicales.
Ensuite, l’enjeu est également économique : Mulhouse étant une ville transfrontalière rhénane, le bilinguisme favorisera forcément l’accès aux marchés de travail suisse et allemand.
Par voie de conséquence, mon ambition serait de faire de l’Alsace et de Mulhouse la région et la ville les plus européennes de France !
Comment appréciez vous l’action dans ce domaine de la ville de Mulhouse ?
La ville de Mulhouse n’a pas réellement de politique volontariste dans ce domaine ; le Rectorat, autorité décisionnaire dans la création de sites bilingues, doit avoir comme interlocutrice une ville explicitement engagée, avec des élus motivés exprimant une volonté politique très forte dans ce domaine, ce qui n’est pas le cas en ce moment. Ainsi, troublant le paysage, la ville de Mulhouse s’est engagée en faveur de l’ouverture d’une école expérimentale bilingue, mais alliant l’anglais au français ; cela aurait pu être une bonne idée, mais sous réserve d’afficher clairement, auparavant, la volonté de privilégier le développement généralisé de l’offre bilingue français/allemand dans les écoles Mulhousiennes, ce qui n’a hélas pas été le cas et c’est éminemment regrettable. Pour moi, l’offre bilingue français/anglais gagnerait à être complémentaire au dispositif français/allemand, mais ne doit pas avoir pour effet de l’éclipser ou de la suppléer.
Quelles seraient vos priorités ? Vos propositions ? actions à mener ?
Tout d’abord, il importe de renforcer le dialogue avec le Rectorat et d’afficher une volonté forte à l’égard du développement du bilinguisme français/allemand à Mulhouse. A court terme, tous les secteurs éducatifs de la ville devraient offrir un site bilingue, afin d’en démocratiser et en permettre l’accès à toutes les familles mulhousiennes. A terme, il faut réellement afficher l’ambition d’offrir une option bilingue dans toutes les écoles mulhousiennes. Les problèmes de recrutement de personnel enseignant compétent pour enseigner en allemand devraient être résolus en liaison avec la Collectivité Européenne d’Alsace, qui a arrêté le 19 avril dernier une nouvelle stratégie linguistique volontaire, et ceci à l’unanimité. Si l’accent doit être mis sur le bilinguisme français/allemand, il convient toutefois de ne pas oublier « l’accent alsacien » de cette politique, en développant par exemple (notamment dans le périscolaire, mais pas exclusivement) des ateliers en alsacien. Pour réussir cette stratégie, il me semble essentiel de renforcer la sensibilisation et l’information des parents pour les inciter à inscrire leurs enfants dans le cursus bilingue français/allemand, en créant également un environnement public bilingue incitatif. Ainsi , il me semblerait opportun de valoriser davantage ns la dimension transfrontalière de notre territoire, en obtenant pour chaque école mulhousienne un jumelage avec une école allemande ou suisse voisine, afin de favoriser des échanges avec des enfants germanophones. Enfin, dans un souci d’efficacité, je préconise la mise en place d’un dispositif d’indicateurs afin d’apprécier l’efficacité de ces différentes mesures et de nous permettre de les affiner.
Loïc Minery
Quels sont les enjeux de l’engagement en faveur de la langue et culture régionale dans une ville cosmopolitique comme celle de Mulhouse ?
La ville de Mulhouse est riche de ses différentes cultures locales et apportées par ses habitants. Dans un tel cadre, l’engagement en faveur de la langue et de la culture régionale est incontournable pour préserver le vivre-ensemble. Les personnes qui parlent alsacien de par leur histoire familiale ne doivent pas se sentir mis de côté sur le territoire qui les a vu naître ; c’est un sentiment d’impuissance et de colère particulièrement fort qui peut se développer lorsque l’on nie ou qu’on invisibilise cette histoire locale, et peut mener à des extrêmes politiques qui finalement ne correspondent pas aux idées que l’on défend normalement mais parce que la radicalité donne l’impression qu’on sera mieux défendu. Au-delà de cet aspect citoyen, il existe aussi l’aspect historico-culturel qui apporte, dans notre vie de tous les jours, un sentiment d’appartenance à tou.te.s les Alsaciens, nés sur ce territoire où installés depuis peu. On le retrouve dans les noms des lieux notamment mais aussi dans certaines expressions orales, dans la gastronomie ou les paysages. Ce sont des trésors qui n’existent que là où se développe une culture régionale forte. Enfin, le dernier argument est bien sûr celui de l’éducation, de la formation et de l’emploi. Nous avons de part notre situation géographique et notre histoire une grande proximité avec l’Allemagne et la Suisse. Les frontières sont poreuses et encore plus quand on est capable de se comprendre, pour se découvrir des points communs (je pense aux spätzle pour ne parler que gastronomie) et mener des projets ensemble. Pour les écologistes, on pense tout de suite aux luttes à Marckolsheim et Wyhl mais aussi aux soutiens que nous avons sollicités et reçus d’outre-Rhin concernant Stocamine (voir la lettre envoyée par les députés allemands – Bundestag- à Emmanuel Macron). L’écologie, c’est protéger la biodiversité, donc la diversité !
Comment appréciez-vous l’action dans ce domaine de la ville de Mulhouse ?
Il existe de nombreuses actions qui ont à coeur de valoriser la culture régionale à Mulhouse. On pense bien sûr à quelques campagnes de communications, surtout autour de la culture, où des termes alsaciens ou des pratiques locales sont mises à l’honneur (Winachtsmarkt, Osterputz, noms des rues en alsacien de Mulhouse) sans parler des noms de rues. Mais il faut aller plus loin et faire vivre cette culture régionale par davantage de reconstitutions et de fêtes inscrites dans la longue vie des traditions, innover en créant un festival interalémanique et oeuvrer/plaider pour l’enseignement de la langue et de la culture régionale (feu LCR) dans tous les établissements publics.
Quelles seraient vos priorités ? Propositions ? actions à mener ?
La priorité pour moi est d’ancrer davantage l’alsacien non pas en le liant seulement à l’aspect folklorique du dialecte (marché de Noël, nettoyage de printemps) mais en l’intégrant dans la plupart des communications de la ville. Par exemple aussi pour les informations concernant la crise sanitaire. Plus les habitants de Mulhouse peuvent lire de l’alsacien, même sans le comprendre, plus ils peuvent se sentir appartenir à notre territoire et s’intéresser aussi à cette histoire culturelle qui n’est pas forcément la leur. L’alsacien doit devenir quelque chose d’accessible, de naturel, d’évident. Décliner dans le temps les initiatives telle « E friehjohr fer unseri Sproch » en les annualisant : « E johr fer unseri Sproch ».
Une autre priorité, déjà évoquée, qui me tient à coeur mais qui serait peut-être difficile au niveau de la municipalité, c’est la création d’un festival inter-alémanique pour booster nos relations avec nos voisins, faire monter des talents musicaux locaux et créer un évènement hautement inclusif et emblématique de notre territoire.
Christelle Ritz
Depuis ma plus tendre enfance j’ai toujours baigné dans le bilinguisme. L’Alsacien est ma langue maternelle que j’ai exclusivement parlé jusqu’à mes 3 ans. Je me souviendrais toute ma vie de mon grand-père paternel qui apprenant que j’étais punie à l’école parce que je m’exprimais en alsacien m’a prononcé ces mots : « Bipala, du muesch redda wi d’r d’r Schnàwel gwàchse esch » !
Aujourd’hui maman de jumeaux j’ai à cœur de partager avec mes enfants notre dialecte, notre histoire, notre culture et notre patrimoine alsacien. Et je n’ai jamais eu de cesse de défendre la pratique de l’alsacien et l’apprentissage bilingue en Alsace par le biais de mes études déjà ayant choisi pour thème de ma thèse la pratique de bilinguisme alsacien/français dans l’espace tri rhénan puis également professionnellement en enseignant l’alsacien plus d’une dizaine d’années dans les écoles ABCM du Haut-Rhin.
Enseigner est une chose, mais sans l’appui de nos politiques la défense du bilinguisme est vaine. Mon engagement politique et militant depuis plus d’une vingtaine d’années va dans le sens de promouvoir le bilinguisme français/alsacien dans notre belle région Alsace. Au Rassemblement National nous considérons les spécificités régionales comme une richesse. Notre identité régionale, notre patrimoine et notre histoire sont en friche, malmenés par une majorité présidentielle qui s’acharne sur les langues régionales alors qu’elles sont un outil pour la transmission des cultures locales et un pilier qui doit être protégé au sein même de la communauté nationale.
Quels sont les enjeux de l’engagement en faveur de la langue et culture régionale dans une ville cosmopolitique comme celle de Mulhouse ?
Les enjeux pour l’engagement en faveur de la langue et culture régionale dans une ville comme Mulhouse sont multiples. En 2002 une étude de l’INSEE définissait l’alsacien comme deuxième langue régionale de France tout en précisant déjà que l’alsacien était nettement moins parlé dans l’agglomération Mulhousienne avec moins d’un tiers des adultes. Depuis les chiffres se sont effondrés avec une pratique moindre due à la sociologie même de la ville : population née hors Alsace, moyenne de population plus jeune, Mulhousiens fuyant la ville centre pour chercher plus de quiétude ailleurs.
Si la tendance est aux villes cosmopolites il ne faut pas oublier de préserver notre culture et notre patrimoine. Nous vivons une époque malheureuse où l’on enseigne aux enfants qu’ils sont citoyens du monde avant d’appartenir à une nation, la France. La France oui, mais avec ses spécificités régionales qui sont une richesse qu’il faut préserver absolument. Car s’engager en faveur de la langue et culture régionale en Alsace signifie aussi s’engager pour notre patrimoine alsacien.
Comment appréciez-vous l’action dans ce domaine de la ville de Mulhouse ?
La ville de Mulhouse mène une action en faveur du bilinguisme français/allemand et du dialecte alsacien bien trop frileuse. La dernière ouverture de classe bilingue français/allemand en partenariat avec l’Education Nationale date presque d’une décennie. Au contraire, comme pour défavoriser notre dialecte, Jean ROTTNER a pris position en faveur d’un apprentissage de l’anglais en soutenant très fortement l’ouverture d’une école bilingue français/anglais à Mulhouse. La politique de la Ville est axée sur des quartiers populaires défavorisés multipliant les problématiques qui ne laissent guère de place à la réflexion de la transmission de notre langue et notre culture régionale. La signalétique bilingue fait également figure de parent pauvre malgré le travail et les efforts de citoyens qui s’engagent en faveur de notre dialecte. Les recherches documentées sur les noms des rues voient le jour difficilement avec des plaques bilingues qui peinent à être installées. Le soutien financier est très faible et ne se fait pas forcément en direction des associations qui s’engagent pleinement à la transmission de l’alsacien. L’école ABCM de Mulhouse est devenue une école de quartier qui semble stagner aujourd’hui, alors que le projet initial il y a 15 ans était d’ouvrir un collège associatif privé à Mulhouse, tout en menant une politique d’accès discriminatoire selon l’origine politique des parents des élèves, mes enfants ayant été refusés en maternelle alors qu’ils entraient dans les critères d’accès à l’enseignement bilingue.
Quelles seraient vos priorités ? Propositions ? actions à mener ?
L’heure n’est plus aux questions mais à l’action. La priorité doit être une offre d’enseignement bilingue de qualité, avec un partenariat outre-rhin pour ne plus manquer de professeurs d’allemand avant tout, mais également une formation concrète de notre dialecte afin que celui-ci puisse être enseigné en parallèle dans les écoles bilingues. L’impulsion du Sénateur GOETSCHY ne doit pas restée vaine, il y a près de 30 ans il a été l’initiateur de cet enseignement bilingue en Alsace s’appuyant sur les exemples des écoles DIWAN en Bretagne et SEASKA au Pays-Basque. Si les autres régions de France ont su développer leurs spécificités régionales, en Alsace nous n’avons pas su relever ce défi.
L’une de mes propositions lors des dernières élections municipales en matière de bilinguisme était l’ouverture d’un site bilingue paritaire par quartier ainsi que la nomination d’un adjoint au maire au bilinguisme qui maîtrise parfaitement notre langue et notre culture alsacienne. Nous devons également être très intransigeant avec la CEA qui nous a promis d’œuvrer en faveur du bilinguisme.
Il faut également sortir de l’entre soi et s’ouvrir au plus grand nombre. La ville de Mulhouse est non seulement frileuse mais a toujours pratiqué le copinage électoral en matière de défense et de promotion des langues régionales. Chacun peut apporter sa contribution, ainsi il ne faut pas oublier les aînés qui sont les piliers de notre culture et nos traditions. Un travail de rencontres scolaires intergénérationnelles doit être rapidement mis en place. Non seulement un tel projet permettrait de sortir les aînés de leur isolement mais offrirait un moment riche de partage.
Nos spécifiés régionales sont également noyées dans ce trop Grand Est. Jean ROTTNER avait promis de soutenir l’Alsace, il en a été le fossoyeur alors qu’il a pris la présidence du Grand Est. L’enjeu pour la défense de notre langue et notre patrimoine alsacien est de retrouver notre Région Alsace. L’Alsace ne doit plus être diluée dans une grande région mais doit devenir le cœur de l’action des politiques menées en faveur du bilinguisme.
Bernard Stoessel
Ancien premier vice-président du Conseil régional d’Alsace.
Ancien Conseiller municipal de Mulhouse
Président de l’association des élus ELSAM/GREDL, association membre de la FEDERATION des langues régionales germaniques de France en Alsace, Moselle germanophone et Flandre
« Mulhouse et la langue régionale d’Alsace : passer enfin de la communication aux actes
Depuis 1991 de nombreuses collectivités territoriales d’Alsace (communes, mobilisées par les départements du Haut-Rhin et du Bas Rhin et l’ex-Région Alsace) ont mis en oeuvre une politique très active en faveur de la langue régionale d’Alsace telle que définie par la réglementation depuis les années 1985, puis depuis deux ans par la loi républicaine: allemand standard et dialectal d’Alsace. Celle-ci, en Alsace, est en effet en très grand danger de disparition totale tant sous ses formes orales et dialectales que sous celle de la maîtrise réelle de sa forme historique et standard par les nouvelles générations.
Pour pallier cette perte une voie nouvelle d’enseignement a été mise en place, ainsi dans la couronne mulhousienne (presque) toutes les écoles publiques offrent, depuis deux à trois décennies, à leurs élèves dès l’âge de trois ans la voie bilingue à parité horaire à partir de l’entrée en maternelle jusqu’en fin de collège: Pfastatt , Morschwiller, Lutterbach, Riedisheim , Rixheim, Habsheim, Illzach, Brunstatt, Zillisheim, Pulversheim, Sausheim, Illzach. Sur l’agglomération diverses écoles privées ont aussi développé cette voie: Jeanne d’Arc, les deux écoles immersives ABCM, le Collège épiscopal.
Il est regrettable de devoir faire le constat que l’intérêt de la Ville de Mulhouse pour le développement du bilinguisme français/allemand à l’école publique en tant que langue régionale standard n’a, au bout de bientôt 30 ans, que très peu dépassé le stade des vœux pieux et de la communication institutionnelle. Il ne s’est pas concrétisé par des résultats à la hauteur des enjeux pour notre Ville.
Pourtant compte tenu de la très grande diversité d’origine ethno-culturelles des populations sur l’agglomération, il est essentiel et urgent d’offrir au plus grand nombre l’accès à une véritable citoyenneté d’Alsace grâce à une langue standard historique, une langue vernaculaire précédemment populaire et un facteur puissant d’intégration et largement synonyme de réussite économique et socio-professionnelle. Offrir par l’enseignement les deux langues d’Alsace (le français et la langue régionale standard et dialectale), reconnues par la Constitution et la loi, à ces habitants aux racines culturelles souvent lointaines est essentiel et urgent, c’est leur transmettre une part de l’âme deux fois millénaire de notre petite patrie et ainsi renforcer les liens sociaux. Ce n’est pas seulement un sujet culturel mais aussi économique et d’emploi: la région voisine de Freiburg im Brisgau et les cantons suisses germanophones présentent un déficit de demandeurs d’emplois dans de nombreux secteurs d’activités pour un nombre total évalué à 50000 postes environ pour les prochaines années.
MULHOUSE/MILHUSA/MÜLHAUSEN im Elsass reste malheureusement au bout de ces trente ans la grande ville d’Alsace la plus à la traîne en matière de création et de développement des sites bilingues français/allemand langue régionale à l’école primaire. Peu d’écoles publiques bilingues français /langue régionale en regard de la population. Et une offre qui n’est possible que dans quelques écoles à partir de 4 ou 5 ans. Les centaines de plaques de rues bilingues français et dialecte, écrit en plus petits caractères, et dont la langue standard est totalement absente ne doivent pas faire illusion: la volonté est absente « et la dimension folklorique prédomine en permanence: les panneaux d’entrée d’agglomération » Mìlhüsa » le confirment aux regards de tous.
Mais il y a plus grave. En effet, il y a deux ans la municipalité de Mulhouse et l’Education nationale ont décidé de créer une école bilingue publique français/anglais entièrement désectorisée sur le site de l’Illberg et accessible à tous dès l’âge de 3 ans en maternelle.
En faisant récemment le choix de la priorité donnée à la langue anglaise au détriment de l’allemand, la municipalité de Mulhouse a pris le risque de priver les Mulhousiens, en particulier les jeunes générations, de pouvoir accéder plus aisément à une langue parlée par cent millions de locuteurs dans l’espace rhénan et qui, pour ceux d’origine autochtone rhénane, a été durant vingt siècles la langue quotidienne et ultérieurement de culture de leurs ancêtres.
Lors de la création de l’école bilingue français/anglais sur le site de l’Illberg, la municipalité affichait une ambition d’inscrire notre Ville dans la dynamique de l’espace rhénan et européen. En totale contradiction avec cette annonce et contre toute logique, elle choisit de privilégier l’anglais comme deuxième langue après le français, laissant la place de langue optionnelle éventuelle à l’allemand. A l’heure où le Brexit n’a laissé que l’Irlande, avec cinq millions d’anglophones natifs, comme seul pays anglophone au sein de l’Union Européenne, il est particulièrement urgent de reconsidérer ce choix de priorité linguistique monovalente.
L’initiative de la création d’une école bilingue exclusivement français/anglo-américain expérimentale désectorisée présente le risque d’aller à l’encontre du bilinguisme français/allemand, de détruire le peu d’écoles bilingues publiques français/allemand. Il existe aussi le risque d’un élitisme anglo-américain en matière d’enseignement de langue et de ne pas favoriser la démarche de recherche d’emplois pour le plus grand nombre des jeunes Mulhousiens, souvent sans emploi.
Par ailleurs, ce n’est pas en utilisant des termes comme coworking et team dans les délibérations ou en soutenant des dénominations telles que learning center ou climbing center qu’on améliorera la prise de conscience des Mulhousiens des vrais enjeux de l’apprentissage des langues. Le français et notre langue régionale standard en sont progressivement dégradés dans l’espace public.
Pour redonner un nouveau souffle au développement d’un enseignement bilingue français/langue régionale à Mulhouse, nous proposons un plan, d’urgence comportant les mesures suivantes :
Quels sont les enjeux de l’engagement en faveur de la langue et culture régionale dans une ville cosmopolitique comme celle de Mulhouse ?
Au moment où l’accès au marché du travail britannique va devenir de plus en plus difficile pour les Européens, il faut étendre l’offre de l’enseignement français/allemand bilingue à parité horaire à toutes les écoles maternelles et primaires, dès trois ans conformément à la réglementation nationale, et à tous les quartiers de Mulhouse sans discrimination pour ouvrir ainsi à tous nos jeunes la perspective d’accéder au marché de l’emploi des pays voisins, via une meilleure intégration dans l’espace rhénan et européen dont l’Allemagne et la Suisse proches. Ceux-ci sont particulièrement prospères et faute de natalité suffisante sont en manque permanent de main d’œuvre, notamment qualifiée.
Quelles seraient vos priorités ? Propositions ? actions à mener ?
Il faut faire une pression amicale mais forte sur l’Education Nationale pour que la parité horaire en matière de bilinguisme soit respectée, particulièrement au collège public, soit 12 à 13 heures par semaine contre seulement 6 ou 7 actuellement en voie bilingue, un niveau techniquement insuffisant.
Il faut soutenir bien plus fortement les écoles bilingues privées et associatives de Mulhouse.
Il faut offrir progressivement dans les classes bilingues paritaires français / allemand un enseignement complémentaire de l’anglais ou ponctuellement d’une autre grande langue européenne (italien, espagnol ou portugais) de deux heures hebdomadaires dès le cours préparatoire. La Corse, la Bretagne, entre autres, en bénéficient déjà en plus de la voie paritaire pour leur langue historique.
Il faut mettre en place des plaques de rue et d’entrée d’agglomération de caractères identiques français, langue standard et dialecte mulhousien. C’est assez simple puisqu’il suffit le plus souvent d’ajouter une plaque en langue standard d’Alsace en veillant à la taille équivalente des caractères. Les signes diacritiques de l’allemand seront officialisés et protégés par la future promulgation de la loi Molac.
Toutes les conditions juridiques sont réunies pour passer aux actes.