Les villes ont elles une personnalité ? Mulhouse aussi ? Pour l’avoir un temps intimement fréquentée, je dirais, avec un brin de subjectivité, qu’elle me rappelle ces gens qui s’affichent « modestes », ne cessent de se dévaloriser, se disent incompétents, ignorants,… mais se pensent malgré tout uniques. C’est le complexe d’infériorité mulhousien… qui vient de loin.
Pertes de repères
Alliée aux Suisses, bastion avancé de Bâle, l’ancienne Freie Reichsstadt bénéficiait d’une position géographique unique entre Rhin et Rhône, aux portes du marché français. Des industriels helvétiques s’y sont fixés pour inonder le marché français de ces indiennes dont raffolaient les élégantes françaises du 18e siècle. Pour élargir leurs débouchés, leurs rejetons ont négocié un rattachement à la France. Adieu la vénérable République ! Adieu un passé glorieux,… Bonjour l’obscure Sous-Préfecture en marge du Royaume de France !
La Manchester française, pionnière de la révolution industrielle, sera quasiment privatisée par les industriels. La masse laborieuse des régions alentour favorise la multiplication des usines et une véritable explosion démographique. Dans le vertige de la modernité, les industriels, également édiles de la ville, aménagent l’espace et multiplient des cités ouvrières autour de leurs usines. Eux-mêmes désertent la ville pour les pentes du Rebberg, au-dessus des fumées de la ville, loin des masses prolétaires, immigrés francophones et catholiques. Après avoir couvert les belles eaux de l’Ill, ils laissent en bas quelques bâtiments voués à la bureaucratie, quelques projets urbains inachevés. Adieu la substance d’une ville ! Bonjour la ville banlieue, sans âme !
Horizons rétrécis
En 1904, Auguste Dollfus écrit dans la notice nécrologique de Paul Heilmann-Ducommun : « Trois quarts de siècle nous séparent de l’époque où la prospérité de notre région a commencé à se fonder sur des bases sérieuses, et déjà aucun de ces hommes qui ont vu ces temps anciens n’est plus… À la génération qui a su penser et vouloir, qui a su trouver les voies nouvelles, a succédé la génération moins grande et moins forte qui, pendant un temps du moins et dans une certaine mesure, a joui parce qu’ils ont souffert, s’est reposée parce qu’ils ont agi.«
Comme une entreprise peinant à trouver des repreneurs et, faute de mieux, devient une SCOP, gérée avec prudence, sans génie, ni perspectives, Mulhouse, orpheline de ses pionniers industriels, se jette dans les bras d’une social-démocratie gestionnaire. A l’issue des deux longs mandats d’Auguste Wicky et Émile Muller, la glorieuse industrie mulhousienne agonise. Il ne reste à leurs successeurs et à Mulhouse que la nostalgie d’un passé textile glorieux et quelques musées techniques.
Depuis trop longtemps, on y conserve, on se sous-estime, on n’ose pas. On aurait dû, comme Toulon, obtenir la Préfecture. On aurait dû voir grand, œuvrer pour le développement de l’axe Bâle, Mulhouse Colmar et jouer pleinement le rôle de métropole du Sud-Alsace. On a juste géré, amélioré, rénové, créé des zones d’activités qui ont parachevé le vide d’un centre-ville riquiqui, quelques rues à peine animées. Mulhouse a le talent des projets avortés et inachevés. Le comble ! On a banni son centre culturel emblématique en marge du centre, dans une zone d’industries mortes et de casernes vides. Parce que personne, à commencer par les politiques, n’a cru en Mulhouse.
Conclusion : Et voilà pourquoi notre Mulhouse ne peut point avoir d’orgueil.
Maintenant, relativisons un peu : Mulhouse bénéficie également du complexe alsacien, lui même une version alambiquée du complexe allemand… Mais ceci est une autre histoire.
Hans Herth
Sociologue / Consultant et Formateur / Conférencier