Une histoire alsacienne mais pas seulement

Dans ce secteur désormais asséché, des terres sont loties selon un plan préétabli, des rues tracées, des emplacements pour le marché et le cimetière réservés ; une église paroissiale est construite ainsi qu’une halle des marchands servant aussi de maison commune. Deux générations plus tard, Frédéric II, (1194-1250), parachèvera l’oeuvre de son aïeul et entoure l’agglomération naissante de murs et de fossés. Doté de fortifications, d’un marché et de l’autonomie administrative, le bourg voit sa mutation parachevée en civitas en 1236 lorsque l’empereur obtient de l’évêque ses droits sur la ville, à titre de fief perpétuel. C’est l’époque où, en Alsace et sous la protection des Hohenstaufen, l’essor urbain prend sa vigueur en appui sur Strasbourg, Sélestat, Kaysersberg, Colmar. Mülhausen est alors peuplée d’un millier d’habitants.

Une Cité-État indépendante au sein de l’Empire romain germanique

L’éviction définitive du prince-évêque de Strasbourg ne se fera cependant pas sans conflits (intervention armée de Rodolphe II, destruction du châteaufort épiscopal, emprisonnement de son prévôt, mise à l’interdit de la ville et excommunication de ses consuls) avant qu’un traité (1308) ne fasse de Mulhouse une ville impériale, c’est-à-dire relevant «immédiatement» de l’Empire et non plus, comme antérieurement, une ville royale relevant du roi, à titre privé. Le XIVe siècle voit la cité se doter d’institutions propres : Zünfte et Zunftmeister (1314), Bürgermeister (1338), Stadtschreiber, (greffier-syndic,1368). Une charte de Charles IV (1316-1378) viendra confirmer ces importants droits à la cité en pleine expansion (1347) qui atteindra environ 2000 habitants au mitan du siècle, avant l’épouvantable grande peste noire de 1348. Sur ordre de l’empereur est constituée en 1354 la Ligue des Dix villes impériales d’Alsace, originellement le Zehnstädtebund. Mulhouse y adhère mais a du mal à trouver son compte dans cette structure trop légère pour lui permettre de faire face efficacement aux menaces du puissant voisin qui l’encercle de toute part : la couronne d’Autriche propriétaire du Sundgau. Dès 1467, elle noue une première alliance avec les cantons suisse de Berne et Soleure, en 1506 avec le canton voisin de Bâle. Le 19 janvier 1515, la Stadtrepublik Mülhausen signe un traité d’alliance avec l’ensemble des treize cantons confédérés.

Mülhausen, zugewandter Ort des XIII Cantons helvétiques

Par ce statut spécial d’« apparenté » Mulhouse ne devient pas suisse. Mulhouse ne fait pas partie intégrante de la Confédération. Elle n’y est pas reçue comme une «associée» mais comme une «alliée» disposant du droit de participer, sur invitation, à la Diète helvétique. Elle le conservera jusqu’en 1798. Lors de la Réforme, les Mulhousiens se rangent derrière les thèses du Zurichois Ulrich Zwingli qui inspirent les cités alémaniques de Suisse. Dans la Stadtrepublik, des lois strictes, d’inspiration protestante sont décrétées. De nombreuses familles d’origine helvétique (Petri, Dollfus, Risler, Koechlin…) s’installent et accèdent rapidement à des postes-clés. Avec les XIII Cantons, Mülhausen conserve sa neutralité et parvient même à s’enrichir durant la guerre de Trente ans. Les capitaux accumulés qui, au siècle suivant, vont permettre le puissant décollage industriel du futur Manchester continental, le seront, en grande partie, durant ce conflit. En même temps, à l’instar de ses alliés suisses, la ville noue des relations amicales avec la couronne de France qui, ailleurs en Alsace, s’installe parfois dans la violence après les traités de Westphalie. Le XVIIIe siècle marque un double tournant dans l’histoire de la Cité-État. C’est d’abord, au niveau économique et social, le déclenchement, en 1746, d’un puissant mouvement d’industrialisation à partir de l’impression des indiennes qui, en moins d’un siècle, fera de la ville la «cité aux cent cheminées». C’est ensuite, au niveau politique, le rattachement, en 1798, de la république de Mulhouse à la République française.

Mulhouse sous la souveraineté française

La ville est rattachée au département du Haut-Rhin et en 1801, c’est un préfet français qui nomme le conseil municipal. Intégré dans l’économie nationale, le développement industriel va s’y poursuivre à pas de géants, appuyé sur des mastodontes comme DMC ou la future SACM, employeurs de milliers de salariés chacun, et sur la réalisation de nouvelles infrastructures : canal, chemin de fer. La démographie suit au rythme d’une ville-champignon : de 6018 habitants au rattachement, la population dépasse 60000 habitants en 1866. Des profondes mutations urbaines (suppression de l’enceinte médiévale, des fossés et des portes, nouveaux quartiers d’habitation, prolifération d’usines dans le tissu urbain, etc.) accompagnent cette expansion. En 1848, Mülhausen voit son nom officiellement francisé en «Mulhouse» qu’elle abandonnera cependant pendant la période du Reichsland Elsass-Lothringen (1871-1919). Dans ce cadre qui lui sera éminemment favorable, elle poursuivra et diversifiera son développement jusqu’à dépasser le seuil des 100000 habitants qu’elle n’a pas dépassé de beaucoup depuis.

Une croissance désormais appuyée sur la région mulhousienne

Au XXe siècle l’expansion de la cité du confluent Ill-Doller repose toujours davantage sur son Umland. La découverte puis l’exploitation de la potasse dans la plaine Nord de Mulhouse y impulse un très puissant mouvement d’urbanisation qui ne se ralentira que dans les années 1960-70 avec la fermeture progressive des mines. Et dans ces mêmes années, l’industrie mulhousienne se renouvelle également profondément. Le textile, ses activités annexes et la mécanique qui avaient fait la renommée de la « ville aux 100 cheminées » disparaissent totalement et c’est vers la plaine du Rhin que se tournent les activités appelées à les remplacer (chimie et surtout automobile). Quant à la ville elle-même, elle voit désormais se renforcer fortement le secteur des services avec la construction d’un hôpital moderne, la création de douze musées la plupart techniques et surtout la création d’une Université. En même temps, les infrastructures urbaines se modernisent : l’aéroport binational partagé avec Bâle devient l’un des plus importants de France (le 7e, et le 3e suisse) et s’ouvre à la coopération avec Freiburg-im-Breisgau; l’ouverture de différentes lignes TGV est-ouest et nordsud fait de Mulhouse un noeud de leur réseau ; les transports urbains connaissent une importante mutation, d’abord avec la création de trois lignes de tramway, ensuite avec celle d’un tram-train vers la vallée de la Thur connecté au réseau SNCF. Enfin, devenue la condition sine qua non de tout développement, la coopération intercommunale entre la ville et ses voisins a également connu un progrès décisif avec la naissance de «Mulhouse Alsace Agglomération» (M2A), qui rassemble aujourd’hui en une «Communauté d’Agglomération» les 39 communes et leurs 275 000 habitants.

Michel Krempper
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